
■ Pourquoi 2018 ?
Pourquoi les Calédoniens sont-ils appelés, le 4 novembre 2018, à se prononcer sur l’accès ou non à la pleine souveraineté et sur l’indépendance du territoire ? Initialement, l’Accord de Matignon signé le 26 juin 1988, qui a mis fin aux affrontements, prévoyait la tenue d’un référendum d’autodétermination au bout d’une échéance de dix ans. Soit juin 1998. Mais l’échéance a été repoussée. Les deux camps ont négocié un nouvel accord, celui de Nouméa, qui devait prolonger de quinze à vingt ans le processus de rééquilibrage et permettre le transfert progressif de diverses compétences non régaliennes. L’accord de Nouméa ouvre la possibilité du référendum au cours du mandat du Congrès commençant en mai 2014 et se terminant en mai 2019. Les élus du Congrès avaient la possibilité de déclencher l’organisation d’un référendum dès 2014. Il fallait pour cela un vote à la majorité des trois cinquièmes, soit trente-trois élus sur cinquante-quatre. Mais la question ne s’est jamais posée sérieusement, d’autant qu’à ce moment-là, l’État n’avait pas établi la liste électorale référendaire qui ne sera finalisée que le 31 août 2018. L’article 217 de la loi organique de 1999 prévoit que si le Congrès n’a rien décidé fin 2017, c’est l’État qui prend la main et organise la consultation. Celle-ci devant avoir lieu au plus tard six mois avant la fin de la mandature (mai 2019). On tombe sur novembre 2018.
■ Les référendums suivants
Si le référendum du 4 novembre débouche sur le « oui » à l’indépendance, le pas est franchi. L’État et les politiques locaux se mettent au travail pour transférer les compétences régaliennes et construire de nouvelles institutions qui s’inspireraient sans doute largement de l’architecture actuelle. Si c’est le « non » qui l’emporte, l’accord de Nouméa prévoit la possibilité de deux autres référendums. Les conditions de leur déclenchement sont beaucoup plus faciles que pour le premier. Il suffit qu’un tiers des élus du Congrès en fassent la demande écrite, soit dix-huit conseillers. Le deuxième référendum peut intervenir « dans la deuxième année suivant la première consultation » C’est-à-dire en 2020. Si la réponse est toujours « non » à l’indépendance, l’accord prévoit, dans les mêmes conditions de déclenchement et de délai, la faculté d’un troisième référendum. Il pourrait donc intervenir en 2022. Si la réponse est encore « non » à l’indépendance, l’accord prévoit laconiquement que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. »
■ Le jour d’après
Même s’il faudra inévitablement échafauder des évolutions institutionnelles, la Calédonie n’entrera pas dans l’inconnu au lendemain d’un troisième référendum qui dirait toujours « non » à l’indépendance. L’accord de Nouméa prévoit expressément qu’en pareil cas « l’organisation politique mise en place restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière. Cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie. » En clair, les institutions actuelles seraient toujours en vigueur, à charge pour les responsables politiques de les faire évoluer ou de les ajuster. Si c’est le « oui » qui l’emporte, le scrutin étant une consultation et non un référendum à proprement parler, l’État prendra sans doute quelques mois avant de déclarer l’indépendance, le temps pour les responsables locaux et nationaux d’accorder leurs violons.
■ Pas de partition
Il y a trois provinces qui voteront sans doute différemment. Mais il n’y aura qu’un seul résultat. L’accord de Nouméa prévoit explicitement « qu’une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France au motif que les résultats de la consultation y auraient été différents du résultat global. » Donc, pas de partition possible, à l’inverse de ce qui s’est passé aux Comores.
■ Le prochain Congrès
Il résulte du mécanisme prévu par l’article 217 de la loi organique que les élus actuels du Congrès ne pourront pas déclencher un deuxième référendum. Ils sont pris en tenailles par les délais. La loi prévoit en effet qu’une nouvelle demande ne peut être déposée qu’au bout de six mois après la précédente consultation . Donc pas avant le 4 mai 2019. Elle prévoit aussi qu’« aucune demande ne peut être déposée dans les six mois précédant le renouvellement général du Congrès. » De nouvelles élections provinciales doivent avoir lieu en mai 2019. Dès novembre 2018, on entrera dans la zone interdite. L’actuel Congrès comporte vingt-cinq élus indépendantistes sur cinquante quatre.
Les changements à prévoir
■ Évolution des provinces
La création des provinces remonte à l’accord de Matignon du 26 juin 1988. Auparavant, il y avait quatre régions (Sud, Centre, Nord et îles Loyauté sous le statut Pisani, puis Sud, Est, Ouest et îles Loyauté sous le statut Pons.) A priori, toutes les composantes de l’échiquier politique sont favorables à leur maintien, indépendance ou pas, après la période référendaire. Les provinces permettent de répartir l’exercice du pouvoir entre les principales communautés dans leurs zones d’influence. Ce qui pourrait changer, c’est d’abord la clé de répartition budgétaire entre les trois collectivités. La province Sud demande depuis longtemps une plus grosse part au nom de la forte augmentation de sa population lors des 20 dernières années. La question reviendra inévitablement à la table des discussions. Autre évolution possible, la représentativité de chaque province au sein du Congrès. Actuellement, la province Sud compte quarante élus et en envoie trente-deux au Congrès. La province Nord compte vingt-deux élus et en envoie quinze au congrès. La province des îles compte quatorze conseillers, dont sept sont également membres du Congrès. Compte tenu du poids démographique de chaque collectivité, un élu des îles pèse moins d’électeurs qu’un élu du Sud. Un possible ajustement de la représentation des trois provinces au Congrès pourrait être aussi discuté, quelle que soit l’issue du ou des référendums.
■ La collégialité
L’existence d’un gouvernement comprenant toutes les composantes politiques élues au Congrès est une exception calédonienne. C’est la clé de la réussite de l’accord de Nouméa, c’est aussi une contrainte qui peut ralentir la prise de décision. Personne ne semble vouloir en revenir au fait majoritaire, avec une opposition qui ne fait que s’opposer. Mais certains, comme Philippe Gomès, verraient d’un bon oeil l’instauration d‘une prime majoritaire qui donnerait les coudées plus franches au groupe politique le mieux représenté, comme c’est le cas dans les conseils municipaux.
■ Le corps électoral
Indépendance ou pas, la question du gel du corps électoral reviendra sur la table. Celui du corps référendaire n’aura plus lieu d’être. Reste celui des élections des assemblées de province et du Congrès. À ce jour, les personnes installées en Nouvelle-Calédonie après novembre 1998 en sont exclues. Au regard du droit international, cette forme de restriction ne peut être que temporaire et « transitoire », sauf à devenir une véritable discrimination et une entorse au principe d’égalité devant la loi.