
L’accord de Nouméa ratifié le 8 novembre 1988 prévoit que les trois référendums possibles en 2018, en 2020 et en 2022 porteront sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes détenues par l’État, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité.
En clair, il s’agira pour les électeurs de se prononcer sur l’accès ou non à l’indépendance et à la pleine souveraineté.
Mais qu’en est-il des autres grands secteurs ? Les compétences de gestion, ou de décision, sont passées de mains en mains avec la valse des statuts de la Nouvelle-Calédonie depuis la deuxième guerre mondiale, puis les Accords de Matignon, puis celui de Nouméa.
Où en est-on à quelques mois du référendum ? Quelques repères pour s’y retrouver.
- L’État
Aujourd’hui, l’État n’assume pratiquement plus que les compétences régaliennes, c’est-à-dire la monnaie et le crédit, la défense, l’ordre public, la justice, les affaires étrangères. C’est lui qui contrôle la délivrance des passeports et des titres d’état civil, qui assure la réglementation des armes, qui contrôle la restitution des terres dans les zones coutumières. C’est encore lui qui contrôle la légalité des actes administratifs des collectivités calédoniennes, leurs régimes financiers. C’est enfin lui qui pilote l’enseignement supérieur, la recherche et qui supervise la communication audiovisuelle.
- Les provinces
Ces collectivités sont la grande invention des Accords de Matignon. En 1988, il a été décidé de leur octroyer la « compétence de principe », autrement dit, elles sont compétentes dans toutes les matières qui ne relèvent ni de l’État, ni du territoire, ni des communes.
Initialement, la compétence de principe (ou compétence de droit commun) était dévolue à l’État. En 1976, avec le statut d’Olivier Stirn, de large autonomie, elle a été transférée à la Nouvelle-Calédonie. Puis en 1988, aux provinces. C’était une décision très politique, constituant pratiquement un territoire fédéral, dont le but était de permettre à la forte minorité kanak d’exercer le maximum de pouvoir là où elle est majoritaire, c’est-à-dire au Nord et aux îles. La création des provinces dotées de larges compétences a été la condition du retour à la paix civile.
Concrètement, on retrouve dans les corbeilles provinciales le domaine public maritime, le développement économique, la formation, l’environnement, l’action sanitaire et sociale, la police des mines, l’urbanisme, l’aménagement foncier et l’enseignement primaire public.
- La Nouvelle-Calédonie
Les compétences anciennes propres au territoire sont la fiscalité, le droit des assurances ou encore la sécurité routière, les équipements d’intérêt territorial ou l’adaptation de certains programmes d’enseignement. Mais le chef de l’exécutif était presque toujours le gouverneur, puis le haut-commissaire, assisté d’un conseil de gouvernement ou d’un conseil exécutif selon les époques.
C’est l’accord de Nouméa, en 1998, qui a programmé toute une série de nouveaux transferts en direction d’une collectivité désormais dotée d’un gouvernement de plein exercice, présidé par un élu local (le premier président a été Jean Lèques).
À partir de 2000, une série de transferts a eu lieu, portant sur l’emploi, le droit du travail, le commerce extérieur, la circulation aérienne et maritime ainsi que les postes et télécommunications.
Sont venus ensuite les transferts de l’enseignement primaire, puis secondaire, celui du droit civil et du droit commercial et celui de la sécurité civile.
Le gouvernement local exerce aussi des prérogatives en matière de relations extérieures avec les pays de la région, et même jusqu’au Japon.
- Les communes
Elles exercent presque les mêmes compétences qu’en Métropole : voirie, circulation, tranquillité publique, sécurité, enseignement.
Dans de nombreux cas, la multiplicité des collectivités entraîne des difficultés d’identification de compétences et de responsabilité. Exemple ? La province est compétente en matière d’environnement, et donc c’est elle qui exerce le contrôle des installations à risque. Quant à la Calédonie, elle est compétente en matière de santé publique. Alors, quand une usine pollue jusqu’à rendre malade les riverains : qui fait quoi ?
« La création des provinces a sauvé la Nouvelle-Calédonie »
Jean-Yves Faberon, professeur de droit public
Les Nouvelles calédoniennes : En quoi l’évolution des répartitions a influencé la situation politique calédonienne ?
La Nouvelle-Calédonie a été sauvée par les accords de Matignon. Elle était au bord du gouffre. Il y avait cette fracture entre deux familles politiques, l’une majoritaire et l’autre représentant une forte minorité. Cette forte minorité, kanak, en était arrivée à considérer que la démocratie à l’occidentale était une impasse pour elle.
Le génie des accords de Matignon a été l’invention des provinces, ce qui a permis de donner du pouvoir à ceux qui sont minoritaires sur l’ensemble du territoire. On a trouvé des lieux de pouvoir où ceux qui sont minoritaires sont en responsabilité, tandis que le Congrès qui réunit des représentants des trois provinces reste à majorité non-indépendantiste.
Mais il y avait auparavant les régions.
Oui, mais les régions ont parfois été des coquilles vides, alors que les accords de Matignon ont attribué « la compétence de principe » aux provinces ce qui les a placées au cœur du jeu politique. À l’époque de l’empire colonial, puis à l’époque des DOM-TOM, c’était l’État qui avait cette compétence de principe. À partir de 1976, ça a été la Nouvelle-Calédonie, ce qui signifiait l’autonomie. Et en 1988, ce furent les provinces. C’est ce qui a ramené la paix.
Qu’appelez-vous la compétence de principe ?
On parle aussi de compétence de droit commun. Les compétences qui ne sont pas explicitement attribuées à telle ou telle institution reviennent à celle qui détient la compétence de principe. Donc, en Nouvelle-Calédonie, aux provinces.
C’est ce qui a permis la paix, mais pourtant vous y voyez un risque.
En détenant des pouvoirs importants, les provinces peuvent prendre des directions différentes ce qui, au bout du compte, peut aboutir à l’opposé de la recherche du destin commun.
Techniquement, au nom de quoi la province Nord choisirait-elle une politique de l’environnement différente des provinces Sud ou Loyauté ? La fragmentation de certaines compétences peut constituer une difficulté.
Les provinces ne sont pas indépendantes les unes des autres et n’ont pas vocation à l’être. L’accord de Nouméa est précis sur ce point. Les provinces pourront s’exprimer différemment lors du référendum, mais le résultat sera le même pour toutes. Ce qui s’est passé avec Mayotte et les Comores ne se reproduira pas.
Dès l’adoption des accords de Matignon, on se rend compte de la difficulté. D’ailleurs, c’est parfois la jurisprudence qui a dévolu des compétences qui n’étaient pas écrites. Ce fut le cas de l’environnement au début des années 1990, avec ce qui en découle concernant la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) demandant des prescriptions spéciales aux installations polluantes.
Il faudrait donc davantage fédérer les provinces ?
Ce n’est pas un hasard si dans l’accord de Matignon, les grandes compétences provinciales sont listées, alors que, dix ans plus tard, dans l’accord de Nouméa, c’est le silence. Il n’y est question que des compétences de l’État et de celles de la Nouvelle-Calédonie. L’accord de Nouméa rythme la rétrocession progressive des compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie, mais aucune n’est visée en direction des provinces.
C’est aussi cette dimension très politique des provinces qui a fait qu’il y a eu tant d’enjeux autour du corps électoral qui en élit les membres.
Il y a donc le risque que les provinces jouent politiquement contre la Nouvelle-Calédonie. Plus elles ont de compétences, plus elles peuvent prendre des chemins différents.,
Il sera donc difficile d’harmoniser les relations entre les différentes collectivités ?
Il y a un article dans la loi organique de 1999 qui pourrait servir d’exemple. C’est l’article 50 qui concerne l’urbanisme. Il précise que la Nouvelle-Calédonie fixe les principes directeurs, que les communes proposent les plans d’urbanisme, et que les assemblées de province les approuvent et les mettent en œuvre. Cette idée de confier les grands principes à la Calédonie et les politiques publiques qui en découlent aux provinces est intéressante. Ce serait à mes yeux plus complémentaire que de répartir les compétences secteur par secteur.
Et cela n’altérerait pas le rôle des provinces ?
Cela préserverait le poids politique des uns et des autres de maintenir les entités provinciales qui sont les garantes de la paix, tout en évitant d’éloigner les Calédoniens de la recherche d’un destin commun.