L’hommage calédonien à Samuel Paty

[article LNC 22/10/2020]

La journée nationale d’hommage à Samuel Paty, assassiné vendredi en Métropole après avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression, a été relayée hier sur le Caillou. De nombreux citoyens ont rendu hommage à l’enseignant et, à travers lui, aux valeurs de liberté et de tolérance.

L’amphithéâtre du collège de Magenta était plein hier. Des officiels, des enseignants, mais également de nombreux simples citoyens sont venus rendre hommage à l’enseignant. Photos Thierry Perron

Article écrit par Julien Mazzoni avec Mélina Monnet Les Nouvelles Calédoniennes le 22.10.2020 

La distance qui nous sépare de la Métropole n’a en rien atténué l’émotion qu’a suscitée l’assassinat vendredi, en banlieue parisienne, de Samuel Paty. Cet enseignant, décapité en pleine rue par un réfugié tchétchène pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, est devenu un symbole de la défense des valeurs républicaines face au fanatisme.

C’est ce qu’a rappelé hier matin Thierry Santa, président du gouvernement, au cours d’une cérémonie empreinte d’émotion, sous l’amphithéâtre du collège de Magenta. « Parce qu’un enseignant de 47 ans a souhaité transmettre à ses élèves ces valeurs fondamentales de la République française, il a été jeté en pâture aux fanatiques, sur les réseaux sociaux », a déclaré le chef de l’exécutif en ouverture de son discours, devant plusieurs centaines de personnes, dont de nombreux officiels, des enseignants, des élèves mais aussi de simples citoyens.

“En Calédonie, il y a parfois des difficultés à traiter certains sujets à l’école.”

Après les discours de Laurent Cabrera, secrétaire général du haussariat, réaffirmant « la solidarité nationale » face au fanatisme religieux, et de Thierry Santa, l’émotion est montée d’un cran lorsque des membres de la communauté éducative ont pris à leur tour la parole pour honorer la mémoire de leur collègue. « Le métier d’enseignant, nous l’avons choisi, et nous l’aimons, car il nous permet d’éclairer les esprits des enfants et des adolescents », a déclaré l’un d’entre eux à la tribune.

Plus de 300 personnes ont répondu hier soir à l’appel de la Ligue des droits de l’homme. Photo TP

L’UTILISATION DES RÉSEAUX SOCIAUX

Car le point central abordé lors de cette journée, aussi bien au collège que sur la place des Cocotiers, en début de soirée, à l’appel de la Ligue des droits de l’homme, c’est le rôle sacré de l’enseignement dans la transmission des valeurs qui constituent le fondement de la vie en société dans toute démocratie, à savoir la liberté d’expression et le respect des opinions d’autrui. « L’ensemble de la communauté éducative est meurtri par cet ignoble assassinat. Il était essentiel d’avoir ce moment solennel et de recueillement de la part de ceux qui concourent au quotidien à transmettre le savoir. Samuel Paty n’a rien fait d’autre que son devoir et il l’a payé de sa vie », a déclaré, ému, Erick Roser. Malgré l’éloignement, « on est tous atteints au plus profond de nous-mêmes. Le nombre de personnes qui se sont déplacées aujourd’hui témoigne de cette volonté de partager ce qui nous rassemble, cette cohésion qui est la force de la République, ajoute le vice-recteur. En Calédonie, il y a parfois des difficultés à traiter certains sujets à l’école, lorsque la connaissance entre en collision avec la croyance, qui se construit dans la sphère privée. Par exemple lorsqu’il s’agit d’aborder des questions d’histoire récente ou de sciences qui pourraient se heurter à des convictions religieuses ou qui renvoient à l’intime. Les enseignants le font avec discernement et avec respect pour ne pas heurter les sensibilités et je salue leur professionnalisme. »

L’autre problématique abordée par les intervenants concerne le rôle des nouveaux modes de communication. « Ni sur les réseaux sociaux, ni dans la vraie vie, cette haine n’a sa place en Nouvelle-Calédonie », a martelé Thierry Santa, avant d’inviter « les parents à avoir une discussion franche et constructive avec leurs enfants, sur l’utilisation de ces réseaux sociaux et les dangers qu’ils représentent. » « La liberté d’expression fait partie des droits imprescriptibles de l’homme mais sa limite est fixée par la loi ou des principes. L’enjeu est de montrer à nos enfants comment user de cette liberté sans tomber dans l’abus, comme s’exprimer sur les réseaux sociaux de façon injurieuse. C’est une problématique que nous abordons régulièrement en classe », appuie Erick Roser.

“On ne peut pas rester silencieux face à la barbarie”

ÉLIE POIGOUNE, PRÉSIDENT DE LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME

C’est avec beaucoup d’émotion qu’Élie Poigoune, président de la LDH et enseignant à la retraite a pris la parole pour rendre hommage à Samuel Paty. Photo TP

Les Nouvelles calédoniennes : Pourquoi était-il important pour la LDH de rendre cet hommage à Samuel Paty ?

C’est quelque chose de très grave qui s’est passé. C’est la première fois que la barbarie entre à l’école et je pense que la Calédonie ne peut pas rester en dehors de ça. On ne peut pas rester silencieux face à la barbarie. C’était la moindre des choses pour la Ligue d’organiser ce rassemblement. Nous sommes aussi Samuel Paty, et nous sommes entièrement derrière l’école de la République, et des valeurs qu’elle enseigne. L’ignorance perd du terrain dans nos pays grâce au travail que mènent tous les jours les enseignants sur les bancs de l’école, on ne s’en rend pas toujours compte.

“Renoncer au côté sombre en nous pour faire sortir la lumière.”

En Calédonie, de par notre éloignement nous avons souvent tendance à penser que ces problématiques ne nous concernent pas directement. Est-ce exact ?

On n’est pas à l’abri. La violence, la barbarie et la haine sont partout dans le monde, même ici en Nouvelle-Calédonie. Donc il faut être solidaires avec les enseignants de France qui font un travail extraordinaire. Nous tenons à les saluer et réaffirmer que nous sommes d’accord avec ce qu’a fait Samuel Paty. J’ai été horrifié par ce qui lui est arrivé.

L’école calédonienne est-elle selon vous un terrain où la liberté d’expression est garantie ?

Cette liberté d’expression dont nous jouissons, c’est la laïcité. Derrière cette valeur, il y a la liberté absolue de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire en Dieu. Tout cela on est libre de le faire. Derrière la laïcité, il y a un espace public et un espace privé. Les religions, les coutumes, les traditions ont leur place, mais dans l’espace privé. Dans l’espace public que représente l’école, on doit se respecter. L’école est un espace où l’on doit mettre de côté les différences philosophiques et religieuses.

On a vu ces derniers mois les réseaux sociaux submergés de messages haineux. La Ligue est-elle attentive à ce phénomène ?

Il y a beaucoup de mauvaises choses qui se passent sur les réseaux sociaux. J’ai personnellement porté plainte au nom de la LDH contre des propos violents et racistes, mais ça ne peut pas aboutir, car face à de grandes entreprises internationales, il est très difficile d’arriver à réguler ce phénomène, car cela demande de faire intervenir l’État, les pays européens et d’énormes moyens.

La liberté d’expression en Calédonie est-elle suffisamment garantie ?

On est relativement préservés, mais on voit tout de même des choses qui montrent qu’il y a de la haine entre les gens. Ce que j’ai appris à l’école, c’est d’exprimer mes idées, mais aussi de savoir écouter l’autre. La vérité, on ne la possède jamais entièrement. Une partie est avec moi, l’autre partie est avec celui qui est en face de moi. Il faut se respecter, exprimer nos idées sans jamais oublier une valeur fondamentale qui est la fraternité. Dans ce pays, nous sommes tous des frères, nous devons cultiver cette valeur car nous sommes appelés à vivre et à construire des choses ensemble. C’est à chacun de faire en sorte de renoncer au côté sombre en nous pour faire sortir la lumière. C’est ce qui permet aux gens d’être ensemble, d’être heureux et de s’aimer les uns les autres.

POURQUOI PARTICIPER… À CET HOMMAGE ?

Felix , élève au collège de Magenta « Je pense à ses proches »

« C’est une situation qui m’attriste, car je pense aux proches de la victime. C’est pourquoi il me semblait important, même loin de la Métropole, de rendre hommage à Samuel Paty. De plus, je pense qu’il est essentiel de respecter le point de vue de chacun, notamment sur les réseaux sociaux. »

Mathieu Mermoud, prof d’histoire-géo « C’est l’hommage à un collègue »

« La mort d’un citoyen dans de telles conditions est un drame, et de savoir qu’il exerce la même fonction que moi est d’autant plus choquant. Certains sujets restent parfois délicats à aborder, surtout concernant l’histoire du pays, bien que nous ayons l’impression d’être préservés de la menace terroriste, en Nouvelle-Calédonie. Toutefois nous éduquons nos élèves sur l’utilisation des réseaux sociaux. »

Anaïs et Alizée, lycéennes « Nous avons été choquées »

Comme tout le monde, nous avons été choquées d’apprendre qu’un professeur avait trouvé la mort de manière aussi atroce, car ce n’est pas quelque chose de normal dans l’enseignement. Nous avons déjà fait face, en cours, à des professeurs tenant des propos maladroits, mais le dialogue suffit pour s’expliquer. »

source: https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/l-hommage-caledonien-a-samuel-paty